Valéria Flores

"Valéria ?"

La voix masculine retentit dans la serre, sans grande conviction. Bruissement de feuilles, nouvel appel, cette fois plus autoritaire.

"Valéria ! Sors d'ici."

L'homme qui s'était présenté à l'entrée de cette jungle apprivoisée s’essuya le front. Il faisait déjà une chaleur écrasante dehors, mais l'humidité présente dans ces lieux l'étouffait. Grand, massif, la peau tannée par le soleil, son regard d'acier fouillait les lieux. Alors qu'il attendait que la dénommée Valeria arrive, sa patience fondait aussi vite que la neige sur le sol du Pérou. Il allait réitérer son appel sur un ton plus agressif lorsqu'un petit bout de femme fit son apparition derrière une fougère aux proportions démesurées.

"Ne crie pas, je suis là, marmonna-t-elle. Je t'en prie, ne crie plus, ajouta la jeune femme précipitamment, les yeux légèrement écarquillés de son audace.

— Il fallait venir plus vite", souffla l'homme.

Valéria ne répliqua rien, même si elle pensait bien évidemment à une répartie cinglante. C'était toujours comme ça avec lui. Il ne souffrait d'aucune contestation. Elle l'observa sous sa frange, intriguée malgré elle. Son père ne venait jamais dans la serre. C'était toujours Anita qui venait la chercher, habituellement. Qu'est-ce qui avait chamboulé cette habitude ? C'est alors qu'elle remarqua plus loin un autre homme. Un sorcier lui aussi, à en juger par son habillement. Et un sorcier qui dégoulinait de sueur sous la chape de plomb qu'était le ciel de son pays depuis peu. Valéria fronça les sourcils, s'abstenant de toute question.
Le silence s'éternisa. L'inconnu se dandina derrière Bastian Florès.

"Tu pars à Falun ce soir. Nous avons appris le décès de ta sœur à l'instant, tu la remplace."

Voilà, c'était dit. Il avait annoncé ça sans une once d'émotion. En surface en tout cas. Valéria connaissait son père. Elle savait qu'il avait envie de frapper quelque chose. Quelqu'un. Anita était le bijou des Florès. Une virtuose des potions, destinée à devenir quelqu'un de célèbre, même. Sa préférée. Valéria ouvrit la bouche pour poser une multitude de questions qui lui brûlaient les lèvres. Il l'interrompit sèchement.

"Tu prends les affaires que tu veux, mais je ne veux plus te voir ici dès ce soir," réitéra son père.

Et il tourna les talons. L'entrevue n'avait pas duré trois minutes. Son père venait de la chasser du domaine familial, sa sœur, l'unique personne qui se souciait d'elle venait de décéder. Sa mère ? Elle devait être effondrée. Un bref élan de compassion secoua la jeune femme avant de sursauter lorsqu'une deuxième voix parvint à ses oreilles. Le second mage.    

"Toutes mes condoléances, mademoiselle. Je...Je suis celui qui vous accompagnera à Falun ce soir. Nous partirons quand vous serez prête. Je peux vous donner un coup de main si vous le désirez." Il avait parlé sur un ton hésitant, plein de sollicitude.

Elle se ressaisit instantanément. Comme à chaque fois. "Sois gentille, dis merci, fais un bisou", comme dirait Anita. Bon, elle se passera du bisou pour cet inconnu, mais remercier et accueillir son aide, ce ne sera pas de trop. Et puis, c'est l'occasion de demander quelques informations.

"En quoi devrais-je remplacer ma sœur ? s'enquit-elle.

— Eh bien...Ses qualités en potions nous auraient été précieuses. Vos talents en botanique nous ont été vantés par votre famille, alors..

— Vantés vous dites ? coupa Valéria, un sourire amer sur les lèvres. Ce serait bien la première fois. De la botanique, donc. Dois-je prendre quelque chose en particulier ?

— Tout. Et des vêtements chauds bien sûr", répondit l'homme.

Lorsque le soleil termina sa course derrière les arbres, Valéria se tenait dans l'encadrement de la porte de la serre. La sienne. Son domaine. Désormais presque vidé de toutes ses occupantes. Les plantes les plus délicates n'auraient pas survécu au voyage, elle n'en avait prélevé que les graines pour les refaire pousser, laissant le reste dans un coin. Comme quelques autres plants fragiles. Tous les autres avaient été miniaturisés, placés dans un cube de verre pour le trajet. Valéria espérait qu'il n'y aurait pas trop de dégâts.

"Nous verrons bien...murmura-t-elle en guise d'adieu.

— Pardon mademoiselle ?

— Non, rien. Nous pouvons y aller. Locomotor Barda," fit-elle vers ses valises.

Elle ferma la serre à clé, posa cette dernière sur un crochet à côté. Irait-elle dire au revoir ? Probablement pas. Son père lui avait donné l'occasion d'être heureuse pour la première fois de sa vie. Elle n'allait pas la gâcher.

Alors que l'homme lui tendait le bras pour un transplanage d'escorte, Valéria sourit légèrement. C'est au moment où il disparurent dans le "pop" caractéristique que la première larme s'échappa des yeux de la jeune femme.